L’École catholique et les États ouest-africains : aller au-delà de la dépendance

Le 30 juin 2025, le Mali a brutalement mis fin à plus d’un demi-siècle de partenariat avec l’enseignement catholique, en supprimant ses subventions. Cette décision, qui couvre jusqu’à 80 % des salaires des enseignants, plonge les diocèses dans une crise financière inédite. Mais derrière ce choc se profile une question cruciale : faut-il voir dans ce désengagement un coup fatal ou l’occasion historique pour l’école catholique ouest-africaine d’affirmer son autonomie et de redéfinir sa mission éducative ?

Oui, cette décision engendrera de lourdes difficultés pour les élèves et les parents maliens, ainsi que pour les enseignants et l’administration des écoles catholiques. Mais au-delà des inquiétudes immédiates, il importe d’en saisir le sens profond, quelles que soient les justifications avancées par l’État : application stricte du principe de laïcité, souci d’égalité entre établissements publics, privés confessionnels et laïcs, ou encore rationalisation des dépenses publiques. Car le Mali n’est pas un cas isolé : dès les années 1970, le Togo proclamait son soutien à l’enseignement confessionnel en prenant en charge les salaires des enseignants. Pourtant, en 2007, ce partenariat s’est brutalement interrompu, marquant la fin d’une ère de coopération étroite entre l’État et l’école catholique.

 éduquer, c’est faire un pari et donner au présent l’espérance qui brise les déterminismes et les fatalismes par lesquels l’égoïsme du fort, le conformisme du faible et l’idéologie de l’utopiste veulent s’imposer souvent comme unique voie possible.”
— le pape François

Cette situation qu’ont connue d’autres pays doit-elle être vécue comme une catastrophe ?   

D’abord comprenons-le bien, la gestion antérieure ne constitue pas une faveur faite aux églises. Car d’une façon quasi générale ce sont ces Eglises qui ont fondé les premières écoles et qui ont par la suite contribué au développement des systèmes scolaires. Ainsi, avant 1894, le Dahomey (devenu le Bénin en 1975) possédait plus de 20 écoles créées par les missionnaires Portugais. Au Togo, à la fin de la période coloniale allemande (1884-1914) en 1912, l’enseignement privé confessionnel accueillait 13 864 élèves (dont 7611 pour l’enseignement catholique) contre 341 pour les écoles de l’administration coloniale allemande.

La seconde remarque concerne la réaction des Etats nouvellement indépendants, après la période de laïcisation de l’école décrétée par l’Etat colonial français (1904). Certains optèrent pour la nationalisation, d’autres non.  En Côte d’Ivoire par exemple, « en 1963, un décret présidentiel autorisa les dirigeants des écoles catholiques à demander une subvention publique pour leurs écoles, à condition que ces écoles reçoivent des élèves normalement scolarisés dans les écoles publiques lesquelles, faute de place, n’étaient pas du tout en mesure de les accueillir. » Cela correspondait à une intégration de l’enseignement catholique à l’enseignement public. Pourtant cette mesure peut en fait être assimilée « à une forme de nationalisation, quasi-identique à celle opérée dans d’autres pays, mais selon une autre modalité, plus subtile. En clair, l’État ivoirien laissa subsister l’enseignement catholique en Côte-d’Ivoire, mais sans véritable indépendance financière, ni large autonomie de recrutement. Tant que l’école catholique servit le projet politique global, elle conserva le statut d’un service d’utilité publique ». (LANOUE E. Politique, religion et fait scolaire en Afrique de l’Ouest. Le cas des écoles catholiques de Côte-d’Ivoire (1945-1992), Revue d’Histoire de l’éducation, 17, 1, 2005)

Les prélats ivoiriens, comme ceux d’autres pays, consentirent à ce rapport de dépendance jusqu’à ce que dans les années 1990, les Etats retirent leurs subventions aux écoles catholiques, comme cela vient de se passer dernièrement au Mali.

Mais ce désengagement de l’Etat ne peut-il être vécu positivement ?  Autrement dit, pourquoi ne pas saisir cette chance pour se démarquer d’un système public actuellement peu efficace et peu efficient dans bien des pays de la sous-région Ouest-Africaine ? Il s’agit en cela de s’inspirer de ce qui se passa en Occident. En effet, on peut dire que l’école chrétienne a contribué au changement de civilisation entre l’Antiquité décadente et le Moyen-Age, grâce notamment aux monastères bénédictins, avec les écoles monastiques devenus des “centres culturels” qui joueront un rôle déterminant dans l’histoire de la civilisation occidentale.

Cependant pour que l’enseignement catholique devienne une force d’innovation il y a un certain nombre de conditions à remplir.

En priorité il importe non pas seulement d’introduire des contenus culturels africains dans les cursus proposés, mais plus que cela de partir de l’Afrique elle-même et de ses valeurs dans la conception du projet éducatif à venir, sans oublier de tenir compte de l’environnement sociopolitique national.

La seconde priorité c’est ce que précisait le Pape François dans son message à l’occasion du lancement du Pacte éducatif mondial le 15 octobre 2020 : « éduquer, c’est faire un pari et donner au présent l’espérance qui brise les déterminismes et les fatalismes par lesquels l’égoïsme du fort, le conformisme du faible et l’idéologie de l’utopiste veulent s’imposer souvent comme unique voie possible. »

Cela signifie que l’enseignement catholique doit montrer la voie à tous, l’Etat comme l’enseignement privé, en montrant portes closes à tous ceux qui seraient tentés par ce désir de s’imposer comme voie unique. Il doit aussi lutter dans ses établissements contre le développement de comportements de consommation passive, bref s’engager à promouvoir une éducation qui vise la liberté des apprenants. Or une éducation libératrice ne peut être mise en pratique, (…), « qu’en dehors du système ordinaire et avec grande prudence, par ceux qui, dépassant leur naïveté, s’engagent dans un vrai processus de libération. » (FREIRE Paolo, Education, Libération et l’Eglise). Et là il ne s’agit pas seulement de ressources financières mais de réforme en profondeur de la relation éducative au sein des établissements.

L’enseignement catholique saura -t-il relever ce défi ?  

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